A Convivencia é uma Ilha (La coexistence est une île) – Recherche-création dans des territoires instables
A Convivencia é uma Ilha (La coexistence est une île) est un projet de recherche performative impliquant le théâtre, les arts visuels, la muséologie sociale et l’art environnemental. Le projet se concentre sur l’action contextuelle en territoires instables touchés par des catastrophes environnementales, des politiques d’extraction et la spéculation immobilière.
A Convivencia é uma Ilha est un projet de recherche post-doctorale en cours développé par Fernando Codeço, chercheur-créateur, sous la direction de Dr Sérgio Andrade (Universidade Federal do Rio de Janeiro [UFRJ]), dans le cadre du partenariat Rencontres Hémisphériques (Université York), LabCrítica (UFRJ), et du programme d’études supérieures en danse (UFRJ). Le projet est soutenu par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).
Ce projet poursuit la recherche initiée par Codeço pour sa thèse de doctorat intitulée Theatricalities of Erosion—essays on ecofagias, disfigurements, and shipwrecks (Théâtralités d’érosion — essais sur les écofagies, les défigurations et les naufrages). (Thèse soutenue en 2021, dans le cadre du programme d’études supérieures en arts du spectacle d’UNIRIO, en collaboration avec le Centre de Recherche en Arts et Esthétique de l’Université de Picardie Jules Verne, Amiens, France.) Cette enquête constituait un projet créatif, analytique et conceptuel fondé sur la vie avec le phénomène socio-environnemental d’érosion marine qui affecte la plage d’Atafona depuis plus de 70 ans. Atafona est située dans la municipalité de São João da Barra, dans le nord de l’État de Rio de Janeiro.
Partant de l’idée populaire selon laquelle « la mer mange les maisons » (« o mar come as casas »), Codeço a créé la notion d’«écofagie » (ecofagia) comme métaphore existentielle, champ d’expérimentation esthétique et mode de critique culturelle en période de catastrophe écologique. Avec les collectifs CasaDuna et Grupo Erosão, Codeço a développé une série d’œuvres artistiques, dont le projet de Musée Mobile (Museu Ambulante) ; le sujet de la recherche postdoctorale développée en 2021-2022 dans le cadre du programme d’études supérieures en politiques sociales de l’Université d’État du Nord de Rio de Janeiro Darcy Ribeiro (UENF).
CASADUNA ET GRUPO EROSÃO
CasaDuna est un groupe de recherche artistique et production culturelle basé à Rio de Janeiro. Se dévouant initialement au développement de projets liés au phénomène d’érosion côtière affectant l’embouchure du fleuve Paraíba do Sul sur la plage d’Atafona à São João da Barra, leur travail s’étend aujourd’hui à d’autres territoires. CasaDuna est un projet indépendant fondé par Codeço et la philosophe et chercheuse Julia Naidin. CasaDuna encadre des activités de recherche, de conservation et d’archivage à partir de matériaux et de souvenirs, CasaDuna rassemble des documents, des livres, des journaux, des témoignages et des images anciennes de zones qui ont déjà été envahies par la mer.
La collection de CasaDuna renferme plus de 300 images historiques de la région et comprend des livres rares acquis auprès de Jair Vieira, un artisan qui a rassemblé ce matériel pendant 40 ans ; des centaines d’articles de journaux sur la région, recueillis par Dona Marilda, propriétaire d’un petit kiosque à Atafona ; ainsi que d’autres collections données et prêtées. En outre, depuis 2017, CasaDuna documente toutes les activités culturelles réalisées dans le contexte du projet à l’aide de photos et vidéos. Cette documentation comprend des photographies périodiques du paysage et des entretiens avec les résidents ; un matériel constituant déjà une archive d’environ deux téraoctets.
Grupo Erosão est un collectif de performance dirigé par Codeço et composé des artistes Lucia Talabi, Jailza Motta, Rachell Rosa, Julia Naidin et Mariana Moraes, du scénographe Rafael Sánchez, de l’anthropologue et acteur Paul Macalli, et du chorégraphe et danseur Guilherme Mattos. Grupo Erosão crée et réalise les projets artistiques de CasaDuna par le biais de performances, théâtre de rue, vidéos, arts visuels et la muséologie sociale.
CasaDuna s’occupe de la direction de production des projets, mène des recherches universitaires, coordonne des résidences d’artistes et organise des expositions. Les deux collectifs ont été créés en 2017 et ont présenté (ensemble et séparément) des œuvres dans d’importants espaces culturels et festivals au Brésil et à l’étranger.
ATAFONA
La plage d’Atafona est située dans la municipalité de São João da Barra, à l’embouchure du fleuve Paraíba do Sul, dans la région nord de l’État de Rio de Janeiro. Une communauté de pêcheurs traditionnels vit à Atafona et c’est aussi un lieu de villégiature populaire pour les touristes de la ville voisine, Campos dos Goytacazes. Le tourisme a entraîné une sollicitation d’habitations en bord de mer, et la plupart des constructions à cet endroit répondent à cet objectif. Atafona est connue pour son érosion côtière intense — une partie importante du territoire ayant déjà été perdue. Depuis les années 1960, l’érosion a détruit dans la région plus de 15 rues et 500 bâtiments, créant une situation environnementale dramatique. L’érosion à cet endroit est, entre autres, aggravée par diverses interventions humaines autour de la rivière Paraíba do Sul. En particulier, le barrage construit dans les années 1950 a détourné environ 2/3 de l’eau du Paraíba do Sul vers la rivière Guandu pour la construction d’une centrale hydroélectrique et pour l’approvisionnement en eau de la région métropolitaine de la ville de Rio de Janeiro. La dégradation de la rivière Paraíba do Sul reflète un manque de conscience concernant l’importance sociale et environnementale de la rivière. Un des objectifs de CasaDuna est d’inclure la sensibilisation à l’environnement dans le dialogue avec les habitants des communautés d’Atafona.
A CONVIVENCIA É UMA ILHA / LA COEXISTENCE EST UNE ÎLE
A Convivencia é uma Ilha (La coexistence est une île), poursuit le travail développé par Codeço et Grupo Erosão à Atafona et s’étend maintenant à la recherche dans d’autres territoires concernés par des situations similaires de déstabilisation extrême. Par exemple, depuis l’installation d’un complexe industrialo-portuaire, le Port d’Açu, situé à São João da Barra, a été marqué par un violent processus de néo-extractivisme. Le port d’Açu promulgue de nombreuses violations des droits de l’homme et de crimes contre l’environnement, et a éliminé plusieurs exploitations agricoles de petite taille et familiales. Les recherches de CasaDuna portent également sur l’histoire du Mouvement des travailleurs sans terre (Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra – MST) du peuplement Cícero Guedes, dans la municipalité de Campos dos Goytacazes, située sur le site d’un ancien moulin à sucre, ainsi que d’autres territoires touchés par des déplacements de populations résultant de mégaévénements dans la zone portuaire et dans la zone ouest de Rio de Janeiro. Leurs recherches incluent Vila Autódromo, une communauté qui a fait l’objet d’un violent processus de déplacement pendant la préparation de Rio pour les Jeux olympiques de 2016. Ces territoires ont en commun l’instabilité à laquelle leurs résidents sont soumis, que ce soit en raison de facteurs politiques, sociaux ou environnementaux. C’est pourquoi ils utilisent la notion de « territoires instables » pour se référer aux domaines d’intérêt de cette recherche.
A Convivencia é uma Ilha / La coexistence est une île est un projet de recherche performatif transdisciplinaire axé sur un processus tenant du théâtre, de la performance, de la muséologie sociale et de l’art environnemental visant à créer un collage performatif de fragments composés d’histoires de personnes vivant en territoires menacés par de nouveaux processus extractifs et/ou par des changements environnementaux. Des histoires comme celle de Dona Belita, une résidente qui a continué à vivre sur l’île dépérissante d’Atafona, au delta du fleuve Paraíba do Sul, même après avoir perdu sept maisons qui ont été absorbées par la mer ; Dona Noêmia Magalhães, chef de file des petits agriculteurs touchés par l’implantation du port d’Açu ; Dona Penha, leader de la communauté de Vila Autódromo qui a résisté au violent processus d’expulsion imposé par la ville de Rio de Janeiro. Né de la résistance aux expulsions à Vila Autódromo, le Musée des expulsions (Evictions Museum) est un projet de muséologie sociale associé à cette recherche. Grupo Erosão a fondé A Convivencia é uma Ilha sur ces histoires et sur les collections d’archives et d’entretiens rassemblées par CasaDuna et le Museu das Remoções (Musée des expulsions) de Vila Autódromo dans la zone ouest de Rio de Janeiro.
Le projet comprend des réunions de collaboration et de partage d’histoires entre les résidents et les membres du Grupo Erosão. Ils utilisent des stratégies de performance comme outils d’écoute, pour la production de connaissances orales, comme espace de rencontre et comme pratique d’apprentissage collectif pour créer des formes de résistance à l’extractivisme et à la dégradation de l’environnement.
L’ensemble du processus de création est réalisé par le biais d’actions performatives conçues en collaboration entre les résidents et Grupo Erosão. Le processus est enregistré et génère une abondance de matériel pour publications et productions audiovisuelles basées sur les témoignages de populations locales. Une conférence-performance de Codeço sur ce processus créatif est également prévue, ce qui offrira des possibilités d’échanges avec d’autres universités, congrès et séminaires.
LE SPECTACLE
Dirigé par Fernando Codeço et produit par CasaDuna, « A Convivencia é uma Ilha »/« La coexistence est une île » de Grupo Erosão sera présenté en juin 2024 au Teatro de Bolso Procópio Ferreira, à Campos dos Goytacazes. Financé par la loi fédérale Paulo Gustavo — « Fonds de soutien au théâtre — Evoé RJ » du Secrétariat d’État à la culture et à l’économie créative de l’État de Rio de Janeiro, le spectacle sera à la fois une installation vidéo et une performance en direct. L’installation vidéo sera accessible au public avant et/ou après la représentation.
Le projet se déroulera en 4 étapes:
1. Répétitions filmées : Moments d’enquêtes et de préparation en salles de répétition. Les scènes et processus seront filmés par les acteurs et metteurs en scène, puis seront montés et incorporés dans le décor/installation vidéo ;
2. Résidences artistiques : Il s’agit d’immersions créatives au cours desquelles le groupe jouera et enregistrera une série de performances et d’ateliers dans les « territoires instables ».
3. Mise en scène/installation vidéo : Moments où la dramaturgie du spectacle sera développée en même temps que le montage du matériel audiovisuel pour l’installation vidéo ;
4. Répétitions générales, première et présentations : Le spectacle se déroulera à la frontière entre la fiction et le documentaire et utilisera les langages du théâtre, de la performance et de la vidéo. Il y aura trois présentations, chacune d’une durée d’environ 1h30, au Teatro de Bolso Procópio Ferreira, à Campos dos Goytacazes. À la fin des présentations, des conversations avec les leaders communautaires invités seront proposées.
Méthodologie
L’œuvre adopte de multiples approches impliquant des recherches dans les modes suivants : expression corporelle, performance scénique, production audiovisuelle, installation vidéo, recherche d’archives, étude sur le terrain, écriture dramaturgique et expériences performatives. Ces activités de recherche se déroulent simultanément et de manière non hiérarchique.
Chaque membre du groupe dispose de sa propre plateforme de recherche guidée par l’univers de son personnage. Chaque interprète produira les éléments de sa propre « île de montage », composant un univers d’images, de sons, de réflexions et de formes corporelles pertinentes pour les personnages fictifs et la « métafable » assignée. (Les matériaux produits sur « l’île de montage » de chaque artiste pourront être incorporés à l’installation vidéo finale de l’œuvre.) Le travail ne sera pas centré sur une interprétation mimétique de représentation des personnages. La recherche visera plutôt à rapprocher les conflits vécus par les personnages à ceux vécus par les interprètes. En d’autres termes, chaque interprète agira pour rapprocher les personnages, leurs conflits et la relation entre ces conflits (ou leur absence) de sa propre vie.
La dramaturgie s’appuiera sur des processus choraux et polyphoniques, présentant différentes perspectives d’une même scène. Les performances/scènes seront créées à partir du contenu produit par la recherche individuelle des interprètes de Grupo Erosão dans leurs « îles de montage » et à travers trois étapes de travail : 1. répétitions filmées, 2. expériences performatives, et 3. montage corps/scène/installation vidéo.
Les « répétitions filmées » sont des moments d’investigation/préparation au cours desquels le groupe travaille dans des salles de répétition sans interférence d’éléments extérieurs. Nous les appelons « répétitions filmées » parce qu’elles seront effectivement enregistrées par les membres du groupe, non seulement comme forme de documentation, mais aussi comme élément scénique et recherche langagière. Après chaque répétition, nous produirons des vidéos qui composeront à leur tour l’« îlot de montage » de l’équipe de mise en scène. Il est proposé que chaque répétition aborde simultanément la recherche corporelle des interprètes, les formes de production photographique et les relations entre les performances corporelles et les images projetées. Les répétitions filmées constitueront une étape importante de la préparation des « expériences performatives ».
Les « expériences performatives » seront des immersions réalisées par le Grupo Erosão dans les « territoires instables » suivants : La plage d’Atafona et le quartier d’Açu dans la municipalité de São João da Barra, le quartier de Cícero Guedes dans la municipalité de Campos dos Goytacazes, et Vila Autódromo (Musée de l’expulsion) dans la zone ouest de Rio de Janeiro. Dans chaque immersion, un ensemble d’actions performatives sera réalisé en dialogue avec les résidents des territoires instables. Les actions performatives se situeront à la frontière entre la fiction (la fable) et le documentaire (la métafable). La fable ne sera pas racontée de manière linéaire, mais plutôt fragmentée, par le biais d’une opération de montage/collage qui sera réalisée au cours de la troisième étape du processus où des fragments de vidéos produites lors des répétitions filmées et d’expériences performatives qui composeront l’installation vidéo seront utilisés, ainsi que des textes et des actes qui seront présentés en direct au cours de la performance.
Voir aussi le projet de Grupo Erosão, Do rio ao mar – Rio Paraíba vivo! /De la rivière à la mer — La rivière Paraíba vit!